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  • Sauter dans le vide

    S'envoyer en l'air ! C'était promis. Y compris de la manière la plus radicale : le saut dans le vide. Retenu, tout de même, par un fort élastique. Rien de suicidaire là-dessous. Quelques jours seulement après son saut en parachute, Mister P. avait bravé la peur commune du vide pour monter sur le parapet de ce pont 184 mètres au-dessus d'une petite rivière qui était à sec cet été là. 

    Que voulait-il prouver ? Peut-être pensait-il que plus rien ne lui ferait peur désormais. Il avait fait un grand saut. Mais évidemment cela ne suffisait pas. Les peurs restaient là, obscures ou très claires, et continuaient d'ajouter à son poids de corps, à sa gravité naturelle, une pesanteur dont il aurait tant aimé s'alléger.

    N'empêche. Il l'avait fait. C'était une étape. Il ne fallait pas en douter. Et puis cette seconde où il s'était élancé, où il avait ouvert les bras comme pour embrasser ce vide  qui s'ouvrait devant lui, cet instant infime où son cerveau avait peut-être douté de sa sécurité, cette très brève déchirure dans la perception habituelle de l'espace, tout cela était désormais gravé dans son disque dur interne, et pourrait lui donner le courage, peut-être, d'affronter ces peurs qui nous pèsent et nous empêchent de voler librement vers notre apaisement. 

    Il l'avait fait. Il en était fier. Même s'il savait que ce n'était pas du courage, mais juste un peu de témérité. 

    Oui, il avait accepté de  tomber. Maintenant il fallait qu'il s'envole.

  • Tomber du ciel

    C'était l'une des premières promesses qu'il s'était faites en devenant Mister P. : sauter en parachute. Comme un premier défi qu'il s'était fixé immédiatement pour bien montrer que, devenu par la force des choses ce Mister P. qu'il ne connaissait pas le jour d'avant, on allait voir ce qu'on allait voir, ça ne se passerait pas sans que rien ne change, et cette nouvelle naissance, même tardive dans le parcours de sa vie, aurait des répercussions dynamiques, énergiques, toniques ! Tout de suite, il lui avait fallu un défi, un dépassement. Pourquoi avait-il pensé à ce saut plutôt qu'à autre chose, plus proche de ses pratiques d'avant ? Il ne le savait pas. Mais tomber du ciel, tout de même, ça a de l'allure !

    Des mois étaient passés. Et des années. Mais Mister P. n'avait pas oublié sa promesse. Hors de question de ne pas relever le défi de "s'envoyer en l'air" dont il avait fait sa thématique annuelle.  Il l'avait affiché, il s'était engagé. Et en fin de ses vacances, après de beaux jours estivaux, il s'était retrouvé, harnaché, dans un petit avion bruyant qui l'emmenait à 4000m.

    Alors voilà, maintenant, c'était fait. Il avait senti le goût intense de la chute libre.  Il avait profité en souriant de cette brève immersion dans une nouvelle dimension. 

    Bien sûr, il avait pris toutes les précautions. Même un poète, pour tomber du ciel, a besoin d'un parachute.

    Et de retour au sol, le cul par terre, il avait bien pris soin aussi, pour la vidéo qui enregistrait son "exploit", de préciser le vrai nom de celui qui venait de faire ce baptême aéroporté : "Mister P.".  La jolie parachutiste vidéaste n'en demanda pas plus. Elle repartit très vite vers d'autres images à saisir entre le ciel et la terre. Et Mister P. retrouva son aimante et son petitou qui, depuis de longues minutes, avaient guetté son arrivée parmi tant d'autres qui, comme lui, avaient déchiré le ciel quelques minutes, puis flotté dans l'azur sous leur voile de couleur avant de se poser en douceur sur la terre des hommes. 

  • Prendre de la hauteur

    Mister P. était gâté. Bien entouré. Affectionné. Et pour célébrer une nouvelle décennie de sa vie qui commençait, capitale comme toutes les tranches de l'existence mais peut-être plus encore que les précédentes, son aimante lui avait offert un vol en ballon. Ainsi  ils avaient flotté au-dessus des plaines des bords de Loire, au gré d'un courant d'air capricieux, fragilement soutenus par une frèle nacelle. 

    C'était un joli moment. Un de ces moments où l'on peut croire à l'idéal dans la lumière inégalable d'un soir d'été. Mais même en l'air, la vie n'est pas de l'éther. Le vol fut bref, et la flamme bruyante quand il fallait redonner du souffle à la grande baudruche de couleurs. 

    Peut-être Mister P. aurait-il voulu que tout cela dure toujours, qu'on ne retouche pas le sol ? Non, il aimait trop avoir les deux pieds sur terre, s'en aller, cheminer, errer, vagabonder, voyager. 

    Et quand la nacelle s'immobilisa dans un champ de maïs fraichement récolté, il pensait déjà, même vaguement, à toutes les aventures qui l'attendaient au ras du sol. C'était un bel été mais Mister P. était ainsi fait : il en voulait toujours plus. Certes il avait su prendre de la hauteur, mais la sagesse, ce n'était pas pour tout de suite...

     

  • Diogène 21

    Mister P. n'avait plus écrit depuis longtemps dans son journal. Sa "vie merveilleuse" continuait de dérouler ses aléas, pas toujours "merveilleux", en fait. Il avait néanmoins parcouru deux îles "merveilleuses", l'une dans le grand sud, l'autre dans le grand nord, et il s'était encore senti, marcheur voyageur, "merveilleusement" bien. Il ne se leurrait pas, cependant. Il savait que chacune de ces  "merveilles" est une légende, un mythe.

    Il avait  continué de mouliner dans sa tête, dans ce cerveau, même fatigué, toutes les obsessions de sa vie d'avant, toutes ces choses dites, ressassées parfois jusqu'à une sorte de nausée existentielle et très peu... "merveilleuse".  Il restait convaincu que chacune de ces étapes, même les plus pénibles, valait la peine d'être vécues, et que sa vie d'après exigeait de sa part une dose supplémentaire de courage. 

    Et surtout, il était temps. Il était grand temps. Car ce temps (le sien) courait vite, et d'autant plus depuis sa (re)naissance.

    C'est peut-être une fois encore à cause de ce temps ravageur, mais aussi à cause de quelques épisodes pas "merveilleux" du tout, que Mister P. eut à cette époque une sorte de révélation. Ou plutôt, disons que tout ce qui s'agitait dans son cerveau (malade, ou pas) commença à prendre une forme concrète sur le mode : "changer de vie".

    Ce serait, à n'en pas douter, une sacrée aventure, puisque Mister P. avait fait de ce mot-clé un élément fondamental de sa vie (d'avant et d'après).

    Pour l'instant, en tout cas, même si Mister P. avait  dans le passé donné quelques gages de crédibilité, on pouvait encore fortement douter de lui. Il était difficile d'oublier toutes ses lâchetés, son conformisme, son opportunisme, ses mensonges, son arrogance. Non, Mister P. n'était pas un héros. Et il le savait bien. Là non plus il ne se leurrait pas.

    Alors comment le croire capable d'une vraie aventure cette fois ? Et comment croire que ce serait cette fois une véritable  "merveille" ? Peut-être était-ce un leurre de plus. Toujours est-il que ce soir là  il avait entrepris de raconter un projet qui avait peu à peu pris corps dans son esprit.

    Il avait pour cela ouvert un cahier rouge à spirales qui datait de sa vie d'avant, un cahier acheté en ce temps où il n'était pas encore Mister P., pour relater une autre aventure. Une aventure  avortée. Ou peut-être pas... Un cahier qui était resté vierge en tout cas.

    Il avait très rapidement rempli une douzaine de ces pages couleur ivoire. Qu'avait-il écrit ? Nous n'en saurons rien pour le moment. Apparemment très attentif à garder ce projet secret, Mister P. avait néanmoins consenti à laisser voir la seule première page, celle du titre. On y lisait : "Diogène 21". Le mystère restait entier...