Mister P. se souvenait parfaitement de quelques-uns des projets qu'il avait programmés pour son temps de "retraite".
D'abord, le chemin de Compostelle. Il s'y était donc consacré quelques mois seulement après l'arrêt officiel de sa carrière professionnelle. Il avait , pendant deux printemps successifs, totalement accompli ce qu'il avait "rêvé" de réaliser. On trouve le récit quotidien de ces jours de marche et milliers de kilomètres parcourus sur un blog dédié : http://yvesgerbal.hautetfort.com/
Il se souvenait aussi d'un projet de lecture : lire l'intégralité de "A la recherche du temps perdu"... dont il n'avait lu, jeune étudiant, que les trois premiers tomes, restant toujours profondément admiratif de l'oeuvre de Proust, picorant des extraits plus ou moins célèbres pour ses cours et pour son plaisir, mais restant en dehors de cette "cathédrale" littéraire, de l'intégralité de ce monument...
Alors, en ce printemps 2025, un an exactement jour pour jour après son départ pour son second pèlerinage, il décida d'entamer la lecture de l'oeuvre intégrale (les 7 tomes réunis en un seul très gros volume aux éditions Quarto) au rythme de 24 pages par jour par équivalence aux 24 km/jour (en moyenne) qu'il accomplissait sur le chemin de Compostelle...
2400 pages, 100 jours. C'était simple. Il suffisait de s'y mettre, et d'y rester. Un long chemin de lecture comme une très longue randonnée... Avec ses moments de grâce, ses bonheurs de lecteur, mais aussi des moments plus difficiles, plus exigeants, plus austères, comme la variété des chemins vers Saint Jacques...
Alors où en était-il, en cette avant-veille de repartir "à pied" pour son projet original (voir plus loin) ? Avait-il eu la même constance pour tourner les pages que pour faire un pas après l'autre?
Je suis allé voir ce matin où en était son marque-page après 68 jours de cheminement littéraire dans cette fameuse "recherche du temps perdu" ? 1800 pages, tout pile. Soit une moyenne de 26 pages. Il est dans les temps. Plus que 600 pages... Et il se souvient de ces kilométrages impressionnants vers Compostelle qui lui paraissaient insensés... et dont pourtant, un pas après l'autre, il est venu à bout... De la même manière, c'est sûr maintenant, il ira au bout de cette "recherche"... Je vois d'ailleurs qu'il retrouve le très gros volume, reprend le petit crayon noir avec lequel il annote le texte. Demain il l'emportera dans sa cabane-mobile et pratiquera chaque jour le chemin du marcheur et le chemin du lecteur.
Il écrira peut-être aussi... pour raconter ce nouveau périple dont il est temps, désormais, que je vous parle.
Mais avant de finir je ne résiste pas à l'envie de recopier ici la citation que Mister P. a choisi de mettre en exergue dans son carnet de bord du second Camino : "Je n'écris pas qu'avec la main, le pied veut sans cesse écrire aussi, solide, libre et brave, il veut en être, tantôt à travers champs, tantôt sur le papier" Nietzsche. Le gai savoir
Tout est dit. Je ne sais pas si Mister P. aurait pu devenir un compagnon de Marcel, piètre marcheur, malgré l'admiration pour son oeuvre, mais je crois qu'il se serait (peut-être) bien entendu avec cet insupportable Friedrich, grand marcheur qui écrivit aussi : "Seules les pensées qu'on a en marchant valent quelque chose".