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  • L'arbre

    Il voulait être un arbre qui bouge. Allez comprendre ! Allez lui expliquer qu’on ne peut être à la fois la branche et l’aile, la racine et l’envol ! Têtu comme un chêne, il refusait de choisir entre ici et ailleurs. Léger comme une plume, il voulait peser en douceur et s’envoler sans partir. Drôle d’oiseau, décidément, ce Mister P. …

  • Le bateau ivre

    Mister P. avait le blues. Un bleu sombre. Ce matin là il s’était réveillé en hurlant : « Je veux la paix ! ». Mais aucun cri n’était sorti de sa bouche. Tout se passait à l’intérieur. Tempête sous un crane Ça remuait dans tous les sens, ça tanguait toujours autant. Il avait fait de son corps le vaisseau de ses nouvelles aventures mais son esprit restait un capitaine fantasque. Il n’abandonnait pas le navire mais le laissait dériver parfois, malmené par la houle. Où allait-il ? Où trouverait-il un port, enfin ? En finirait-il avec cette ivresse du grand large et des mers agitées ? Capitaine, oh, capitaine, attrape le gouvernail et retrouve le cap ! Mais où était-il le port aux eaux calmes abrité derrière une digue solide ? Il le cherchait depuis si longtemps… Aucune carte ne le mentionnait. Le secret était bien gardé. Peut-être n’était-ce qu’un mythe ? Une Atlantide ? Peut-être le vieux marin devait-il admettre qu’il serait toujours ballotté par les vagues. Condamné au mal de mer. Sans répit, sans repos.

    Au soir de ce jour à nouveau tempétueux, Mister P., éreinté, au bord des larmes encore, fatigué par une nouvelle grosse vague, avait encore le blues. Un bleu noir.

    Noir comme la nuit derrière la fenêtre près de son lit.

     Au milieu de son insomnie, il tourna les yeux vers cette fenêtre. La lune était là, majestueuse, lumineuse, toute ronde, absolument féminine. Et il se souvint de la toponymie de l’astre nocturne conquis par les hommes : il existait bien, là-haut, un endroit appelé « mer de la tranquillité ».

    Il s’endormit, un peu plus apaisé, en rêvant qu’il pouvait encore décrocher la lune…

  • Le livre

    Il ne pouvait pas lui en vouloir. Il ne pouvait pas savoir. Il n’était pas un ami. Seulement un très sympathique conseiller de son magasin randonnée-montagne préféré. Mais la conversation avait dérivé sur leur vie personnelle. Non, il ne pouvait pas savoir qu’il parlait à Mister P. Il ne connaissait pas sa nouvelle identité. Il lui raconta par le détail les affres de la même maladie d’un père récemment décédé. Mister P. n’avait rien demandé. Non, surtout pas ça. Surtout pas là. Surtout pas dans cette antre sereine où il venait évoquer ses envies d’ailleurs avec cet autre baroudeur.

    Il abrégea un peu brutalement la conversation, visage crispé, sortant précipitamment du magasin pour marcher dans une rue qu’il ressentit encore plus sale, encore plus vulgaire qu’à l’ordinaire.

    Il baissait la tête et filait droit sur le trottoir face à un vent mauvais qui lui griffait les joues. Il avait envie de pleurer. Ça ne lui était plus arrivé depuis le premier jour. Celui de sa métamorphose. Mais la rue était trop hostile pour qu’il baisse la garde. Il releva la tête et décida, un peu plus loin, de retrouver le havre d’une librairie.

    Derrière le comptoir où il feuilletait le livre d’un aventurier qu'il admirait, une vendeuse blonde au nez très fin lui conseilla, puisqu’il semblait aimer la littérature de voyage, un « texte magnifiquement écrit  qui nous emporte dans les steppes de Mongolie ». Il parcourut quelques pages du livre qu'elle lui avait tendu. « On dirait du Cendrars », dit-il pour l’épater. « C’est vrai » admit-elle en souriant.  Ses mains étaient fines. Sa bouche était rouge. Ce pourrait être si simple, se dit Mister P. en sortant de la librairie.

    Au bord de ses yeux, toujours deux larmes supendues.

    A cause du vent, probablement.