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  • L'anniversaire

    Mister P. avait un an. Pourtant il n'était plus un enfant depuis longtemps. Un an… Heureusement il n'avait pas perdu son temps.
    Il avait d'abord appris à méditer chez Bouddha, découvert une île utopique, et accueilli un Don Quichotte rouillé dans son jardin. C'était un bon début. Il avait bien sûr continué  avec quelques autres joyeux compagnons arpenteurs  à marcher vers les sommets. Et il projetait de gravir bientôt à nouveau d'autres montagnes bien plus hautes. Comme un bon  artisan, il avait sérieusement accompli les tâches de son métier qu'il aimait toujours.  Il s'était régalé de gros livres très érudits et d'autres plus légers. Il avait à peu près totalement rompu avec la télévision.  Il avait continué de réfléchir à l'état du monde et à la vanité de ses habitants mais à la radio il n'écoutait plus désormais que de la musique douce plutôt que des informations brutes. Il s'était envolé pour de nouveaux pays, et il avait longuement déambulé dans des villes lointaines. Il avait fait beaucoup  de photographies pour nourrir les souvenirs des voyageurs familiers et complices, toujours en partance pour un ailleurs. Il n'avait pas appris le tango mais il avait pour la première fois acheté un instrument de musique pour que ses mains gardent le rythme. Il s'était attaché encore davantage à la simplicité et la frugalité, sachant que le chemin était long. Il avait appris à jeûner et il avait partagé des repas savoureux. Il avait bu des vins blancs "vendanges tardives"  en pensant aux vendanges suaves de sa vie. Il avait continué de goûter le bon et de contempler le beau chaque fois qu'il le pouvait. Maladroitement parfois, mais avec conviction, il avait  essayé de faire que le quotidien ne le soit pas trop.  Entre ivresse lucide et gai désespoir il s'était égaré, il s'était perdu, il s'était retrouvé. Il avait tâché du mieux qu'il pouvait, malgré certains jours maussades,  et connaissant ses limites, de veiller sur ses amis et ses amours, de trouver le juste équilibre entre attachement et détachement, d'être avec eux dans le présent le plus pur et d'être lui-même dans la justesse la plus subtile. Probablement avait-il failli aussi et il n'avait pas toujours su enlever de son visage le masque inutile de la crispation, de l'irritation, ou du dédain. Mais il avait regardé avec un sourire clair un petitou jouer, rire, grandir, faire ses premiers pas. Il l'avait mené, sur son dos, au pied de la montagne sacrée.  Il avait beaucoup parlé et écrit, comme dans sa vie d'avant, pour comprendre, pour apprendre, pour transmettre, pour convaincre, pour partager, pour séduire, pour rire, pour rien.Il avait posé des mots sur quelques images fascinantes qu'il collectionnait. Il avait essayé, comme toujours, d'attraper les insaisissables saisons dans les filets de ses phrases, et les printemps passés  toujours le transperçaient mais l'été à venir le transcendait encore. Surtout, Il avait même écrit les chroniques de sa nouvelle vie merveilleuse !  Et  il avait enfin pu donner une forme concrète à son rêve de cabanes aux caresses, cultivant un art si essentiel à son apaisement…
    Tout cela méritait bien une petite célébration. Alors pour son premier anniversaire, Mister P. a bien fait les choses. Ils sont d'abord allés manger une pizza napolitaine et boire un verre de vin rouge. De retour dans la maison, au lieu de souffler sur une seule bougie, il en a allumé plusieurs, soigneusement disposées dans la petite pièce. Il n'a pas oublié l'encens à la vanille  ni la tête de bouddha qui change de couleur. Il a touché l'écran pour faire entendre la musique planante. Il a tapé doucement avec le pilon en bois sur  le bord du petit bol au son cristallin.  La cérémonie pouvait commencer. Sur le corps de la femme, ses mains ne tremblaient pas…